PUBLICATION:

La Presse

DATE:

2003.04.29

SECTION:

Forum

PAGE:

A15

PHOTO:

Reuter

ILLUSTRATION:

Avec le nouveau premier ministre libéral à Québec, les relations fédérales-provinciales seront-elles différentes?


Affronter Ottawa; Les provinces devraient demander moins d'argent et plus de points d'impôt


L'ÉLECTION d'un nouveau gouvernement fédéraliste au Québec représente une chance en or pour toutes les provinces de redéfinir les relations fédérales-provinciales au Canada. Un des objectifs du nouveau gouvernement Charest est d'aller de l'avant avec les recommandations de la Commission sur le déséquilibre fiscal et de négocier avec Ottawa moins de transferts fédéraux et plus de points d'impôt. Les autres provinces devraient emboîter le pas et soutenir l'initiative québécoise dans ce domaine et ainsi créer un front de négociation qu'Ottawa ne pourra ignorer.

 

La Commission sur le déséquilibre fiscal, présidée par Yves Séguin, maintenant élu député libéral et pressenti pour devenir ministre des Finances sous Jean Charest, a publié son rapport final il y a un peu plus d'un an. Ce rapport contient plusieurs recommandations pour corriger le déséquilibre fiscal entre Ottawa et les provinces. A la place du système actuel où Ottawa taxe beaucoup plus que nécessaire pour financer ses propres programmes et distribue l'argent en trop- avec plusieurs conditions- aux provinces, la Commission recommande d'abolir les transferts fédéraux destinés à la santé, à l'éducation et à l'assistance sociale et propose de donner davantage de marge de manoeuvre en matière de taxation aux provinces.

 

Deux visions

 

L'histoire des transferts du fédéral vers les provinces en est une de va-et-vient entre deux visions contrastées.

Les années 50 et 60 furent des décennies de centralisation alors que le gouvernement fédéral utilisait ses muscles financiers pour influencer les programmes de santé et d'éducation. Dans les années 70, on assista à un retour vers l'autonomie des provinces- l'évènement décisif fut la réforme de 1977 qui remplaça le partage conditionnel des coûts d'éducation et de santé par des transferts en blocs et qui transféra plusieurs points d'impôts personnel et corporatif d'Ottawa vers les provinces.

 

Durant les années 80 et 90, le gouvernement fédéral se mit à utiliser son poids une fois de plus, en attachant de nouvelles ficelles à ses transferts pour la santé et en utilisant les revenus colossaux de l'assurance- emploi pour mettre ses pattes dans les programmes provinciaux d'aide au marché du travail. Depuis le retour des surplus budgétaires à Ottawa vers la fin des années 90, la tendance vers la centralisation s'est accélérée. Assoiffées d'argent pour financer l'éducation et la santé de même que réticentes à confronter les contribuables avec la facture, les provinces se mirent à accepter une grande variété de nouveaux transferts fédéraux conditionnels, et ce dans plusieurs domaines, notamment en santé et en matière d'aide à la jeunesse.

 

Mais peu importe les avantages à court terme qu'elle offre aux ministres des Finances provinciaux et aux bâtisseurs d'empire fédéral, cette profusion de transferts conditionnels ne laisse entrevoir que des problèmes à plus long terme pour les Canadiens, autant comme contribuables qu'en tant que bénéficiaires des programmes publics.

 

La santé: un bon exemple

 

Le récent imbroglio fédéral-provincial au sujet de la santé illustre bien le problème. Ottawa qui, depuis quelques années, nage dans l'argent, se présenta comme le grand défenseur de tous les Canadiens contre la mort, la maladie et les frais à l'usager. Les provinces, acculées au pied du mur après des années passées à blâmer Ottawa pour leurs problèmes et désireuses d'éviter le coût politique des réformes, sautèrent sur l'appât. Mais d'ici quelques années, les coûts du système seront encore plus élevés et les listes d'attente tout aussi longues. Le gouvernement fédéral exigera encore plus de conditions et offrira moins d'argent. Les premiers ministres et ministres de la Santé ne trouveront mieux à faire que de continuer à se dénoncer les uns les autres. Et les Canadiens malades ainsi que leurs familles se demanderont s'il n'y a pas un meilleur moyen.

 

Il y a un meilleur moyen, et la commission Séguin en a montré la direction. Le temps est venu de s'attaquer au déséquilibre fiscal, de réorganiser le fouillis des transferts fédéraux conditionnels vers les provinces et de tracer des lignes plus claires entre les responsabilités respectives des deux ordres de gouvernement.

Il n'y a rien de révolutionnaire dans le transfert de pouvoirs de taxation d'Ottawa vers les provinces. Cela s'est déjà fait avec l'impôt des particuliers et des corporations. Un transfert similaire de points d'impôts- tel que proposé par Québec- serait facile à implanter.

 

Et il n'y a rien de dangereux à permettre aux provinces de répondre plus librement aux désirs de leurs électeurs. L'assurance-santé publique n'a pas disparu après la fin du partage des coûts en 1977. L'actuelle présence fédérale, qui nuit aux réformes, représente une menace bien plus dangereuse pour le futur, à long terme, de l'assurance-santé.

 

Besoin d'alliés

 

Le but de la réforme est clair, le chemin qui y mène l'est moins. Bien que plusieurs politiciens et fonctionnaires fédéraux voient dans l'élection du nouveau gouvernement du Québec une chance de pouvoir enfin travailler de façon constructive, l'argent semble plus facile à trouver que les idées nouvelles de nos jours à Ottawa et la récente expansion des budgets et des pouvoirs fédéraux ne fait qu'ajouter aux intérêts qui s'opposent à une réforme. L'initiative doit venir des provinces. Le Québec et le gouvernement Charest ont besoin d'alliés.

Où les trouver? L'Alberta dépend moins de l'argent fédéral et possède des raisons particulières de percevoir la centralisation comme une menace. La Colombie-Britannique, qui s'efforce de relancer son économie malgré ses problèmes fiscaux persistants, a aussi beaucoup à gagner. La Saskatchewan, bien que plus faible fiscalement que les autres provinces de l'Ouest, n'a jamais été la cible de la générosité d'Ottawa. Et bien que le Manitoba et les provinces de l'Atlantique soient nerveux à l'idée de dépendre davantage de leurs propres ressources, ils auront Québec de leur côté pour demander une péréquation plus généreuse qui compenserait pour leur assiette fiscale plus petite.

 

Le plus grand inconnu est l'Ontario. Jadis une présence pivotale dans les négociations fédérales-provinciales, l'Ontario a depuis quitté le front de la bataille. Mais l'Ontario a un intérêt à long terme énorme dans une réforme- en tant que province qui subit le plus fortement l'accroissement des coûts à Ottawa, c'est la province qui a le plus à gagner à faire des relations fédérales-provinciales une priorité.

 

L'élection des libéraux de Jean Charest offre une belle occasion pour amorcer une réforme. Les autres provinces doivent avoir le bon sens et le courage de la saisir.

 

William Robson et Yvan Guillemette

Les auteurs sont respectivement vice-président senior et directeur de la Recherche et analyste de politique à l'Institut C.D. Howe de Toronto.